Julien est un homme de mystère, c'est une chose qu'il cultive volontairement. De son passé, rares sont les personnes à tout connaître, les histoires sont différentes à chaque fois mais le fond reste le même. Il lui est arrivé des choses qu'il a choisi de taire. Son arrivée à Paris remonte à plus de dix ans et c'est bien les seuls brides de l'univers Lafonte dont vous aurez jamais conscience. Si ses parents sont réputés pour leur gamme incroyable de cosmétique, Julien n'a jamais souhaité bénéficier d'un quelconque traitement de faveur. La première chose à savoir sur lui, c'est qu'il est, au détriment d'une réputation de coureurs et de véritable Don Juan, un homme de parole, loyal et juste. Pour lui, les avantages que l'on offre aux personnes prédisposées ne sont que des excuses qu'on leur sert pour leur éviter la déconfiture. Il n'aime pas l'hypocrisie du milieu de la danse et est, toute sa vie, resté loin des compétitions et auditions. S'il est un grand danseur, il n'a jamais aspiré à se faire connaître autrement que par le professorat et l'éducation. Il a pas mal d'expériences dans le monde de l'opéra classique même s'il n'en parle que très vaguement. Pour lui, rien n'est plus important que les valeurs qu'on lui a enseigné lors des cours de danse qu'il suivait, c'est d'ailleurs de son ancien professeur de danse dont viennent toutes ses pratiques à la foi atypiques, traditionnelles et un peu vieillottes. Mais Julien est un homme de mouvement, il déteste s'ennuyer et à la fâcheuse tendance à passer rapidement à autre chose. Sa sphère sociale n'est pas hyper développée et peu de personnes dans son entourage sont considérées comme étant ses amis proches. Il vit seul en plein centre de Paris, il en aime chaque recoins, qu'ils soient sombres et éclairés. Dans sa carrière de professeur, Julien a eu la chance de découvrir bon nombre de talents en traînant dans les clubs branchés de la ville ou dans des salles de répétitions isolées. Il adore se sentir responsable d'un nouveau talent et a tendance à s'occuper un peu trop de ses élèves. Très stricte, cependant, il a un fort caractère qui lui vient des origines polonaises de sa mère. Il n'aime pas se faire avoir et refuse systématiquement qu'on s'approche trop près de son cœur. Il déteste se confier et surtout, plus que le reste, il déteste se sentir redevable et dépendant d'une autre personne.

Qu'aimez-vous dans votre travail au quotidien ? Le contact avec la jeunesse et son talent. J'adore découvrir de nouveaux danseurs et leur apprendre les rudiments du jazz. J'ai eu la chance de fréquenter de très bonnes écoles étant plus jeunes et mon savoir vient directement de ces professeurs qui m'ont toujours accompagné et suivi. Je ne me souviens pas avoir eu un jour envie d'exercer une autre profession que celle-ci. Suivre un élève de ses premiers pas en salle de danse à son premier ballet sur scène, c'est une sensation merveilleuse et une satisfaction comme je n'en éprouverai jamais ailleurs. Leur apprentissage est mon moteur, leur énergie devient la mienne. Je connais chacun de mes élèves, et chaque fois que l'un d'eux se démarque et sort du lot, je n'hésite pas à le pousser un peu plus que les autres. J'aime croire que la danse est un don qui se travaille et non un talent inné que ne possèdent que certaines personnes.

Que vous inspire la danse ? La danse est toute ma vie, c'est ce qui me définit le mieux. Je ne trouverai jamais d'autres moyens de vous décrire l'homme que je suis qu'en vous parlant de cet art. J'ai appris à grandir dans les écoles de danse, j'ai appris les valeurs de la vie en répétitions et sous l'égide d'une dizaine de professeurs différents. Quand vous étiez occupés à sauter à la corde, je pratiquais déjà le pas de basque avec une fierté non dissimulée. Du classique au jazz, en passant par le contemporain et le moderne, je me suis essayé à tous les stades sans jamais m'ennuyer. La danse est une passion, pour certaines personnes, pour moi, elle représente tout ce que j'ai toujours été.

Étiez-vous danseur ou danseuse avant d'exercer ce métier ? J'ai longtemps fréquenté de grandes écoles de danse et j'ai obtenu mes certificats d'aptitudes très jeunes. Néanmoins, je n'ai jamais vraiment souhaité faire partie de ce monde. J'en connais trop bien les contours pour avoir vu certains de mes anciens camarades se ramasser et tomber de haut. Je ne suis pas adepte des auditions ni de la compétition, j'ai une sainte horreur de mettre mon corps à l'essai et de voir que ma façon de danser ne plaise pas, finalement. Je déteste qu'on rabaisse ma façon de bouger et j'ai longtemps hésité à me présenter à certaines auditions sans pour autant y mettre un jour les pieds. Oui, j'ai vécu l'affreuse déception d'entendre un maître de casting vous dire que vous n'aviez pas le talent et l'énergie nécessaire pour jouer tel rôle dans un ballet et j'en ai eu une sainte horreur. Je suis devenu professeur très tôt, une retraite assurée pour certain mais pour moi une réelle passion, conviction. Je ne regrette pas mes choix, je ne suis pas à l'aise sous les projecteurs, j'ai plus le caractère de la personne qui soutient les autres et les encourage en coulisses.

Si non, auriez-vous voulu l'être ? Comme je vous l'ai déjà expliqué, je ne suis pas très porté sur ce domaine là. Je déteste avoir des comptes à rendre et être sous contrat. J'ai besoin de conserver ma liberté de mouvement et mon unique expérience s'est soldée par un échec cuisant. J'en garde un très mauvais souvenir. Je n'ai jamais cherché à être sur le devant de la scène, personnellement. L'admiration des gens m'effraient autant qu'elle peut parfois m'attirer. Je n'ai pas besoin qu'on sache qui je suis, ni qu'on me porte aux nues. J'aime le fait d'être professeur, ça m'évite des semaines entières de répétitions, un salaire misérable et des spectacles à n'en plus finir. Cette routine m'apaise bien plus que de ne savoir si je décrocherai un autre contrat après celui en cours. Je déteste l'incertitude de ce monde, et je n'en ai pas besoin.

Selon vous, que représentent les danseurs avec qui vous travaillez tous les jours ? L'avenir, les danseurs de demain. Tous ne seront pas de grands professionnels mais beaucoup d'entre eux parviendront à faire quelque chose dans la danse, j'en suis sûr. La plupart de mes élèves sont gonflés à l'adrénaline et à l'ambition, ils arriveront très loin, je n'en doute pas une seule seconde. Cependant, je sais que beaucoup seront déçus de la compétition qui existe ici et certains partiront, bien sûr, à l'étranger, le cœur gonflé d'étoiles pour revenir, plus tard, la queue entre les jambes et l'esprit bourré de désillusions. La danse est un milieu très, trop aléatoire. Personne ne peut savoir avec certitude s'il percera. Je leur souhaite le meilleur, mais je sais que beaucoup ne finiront pas leur vie sur une scène et que, pour beaucoup, ils n'auront d'autres choix que de reprendre d'autres études. Je sais cependant qu'ils représente, à mes yeux, l'énergie nécessaire à ma propre survie.

Je suis né à Cannes, mes parents sont un couple relativement stable et saint et je n'ai jamais manqué de rien. Avant ma naissance, il y avait eu une autre grossesse. Malheureusement, mon grand-frère est mort-né. Son prénom est devenu mon deuxième prénom en sa mémoire. Mes parents ont toujours été là pour moi, d'aussi loin que remontent mes souvenirs. Je suis venu au monde dans une famille unie et relativement traditionnelle, les valeurs qu'on m'a inculquées étaient basées sur la loyauté, la franchise et le respect. Je me rappelle brièvement de certains épisodes heureux comme mes anniversaire, sans pour autant vraiment pouvoir entrer en détails. Mes parents étaient souvent absents, ils géraient à eux deux une marque de cosmétique réputée en France et leurs déplacements étaient rapidement devenus une habitude. Je n'en ai pourtant jamais souffert, quand l'un s'absentait, l'autre s'arrangeait toujours pour rester à la maison, à mes côtés. J'ai reçu tout l'amour dont un gosse a besoin et pour cela, je leur en serai à jamais reconnaissant. A dix ans, j'ai découvert la danse par hasard, un art que j'ai rencontré dans une émission quelconque sur une chaîne de télévision française. Je me souviens avoir éprouvé une admiration incommensurable pour ce groupe de danseur. J'ai tout de suite senti que ma place était à leur côté et c'est instinctivement que je me suis mis à suivre, à mon tour, des cours de danse. Comme tout bon danseur qui se respecte, j'ai commencé par apprendre les bases en classique et puis, deux ans plus tard, je me suis spécialisé dans le jazz et le moderne, deux styles qui m'attiraient bien plus que les autres.

Ma passion a vite pris le dessus sur tout le reste. Les cours ne m'intéressaient plus et l'école de droit à laquelle on m'avait inscrit ne me tentait plus autant qu'avant. Pour mes parents, j'ai pris sur moi de tout abandonner sans bonne raison et j'ai passé les examens d'entrée pour une université française, à dix-huit ans. Mais j'ai vite compris que tout ça ne m'apporterait rien de bon, j'ai donc préféré faire front et avouer à mes parents que la danse devenait de plus en plus importante à mes yeux. Ils n'ont pas compris, aujourd'hui encore ils ne comprennent pas toujours, mais ont eu l'intelligence de me soutenir dans mes décisions. J'ai donc quitté Cannes pour Paris, l'AID (académie internationale de danse) me paraissait le lieu rêvé pour obtenir mon certificat de capacité en danse et c'est au bout de trois longues années que, finalement, je décrochais mon sésame. Je vous passe volontairement quelques détails qui ne vous intéresseront certainement pas et dont je ne suis pas prêts à discuter mais en arrivant à Paris, j'ai fait de mauvaises rencontres et eu de très mauvaises fréquentations. Je connais ces danseurs qui, à seize ans, s'imaginent la belle vie des petits rats de l'opéra ou des plus grands professionnels du milieu, j'en ai été aussi. Pourtant, j'ai vite déchanté en découvrant le côté compétitif et irrespectueux de ce domaine. En débarquant à Paris, j'avais une certaine aisance et un certain talent, je ne le cache pas. J'ai donc rapidement été repéré au sein de l'AID. Mais mon intégration s'est mal passée et certaines personnes ont profité de ma naïveté pour me faire échouer à certains examens. J'ai, suite à ces études, décidé de me lancer dans différentes auditions. Croyez-bien que j'ai été de la trempe des danseurs passionnés et intéressés, qui rêvaient de briller et de se faire un nom dans le milieu. Mais j'ai très vite compris que les paillettes attiraient vers elles toutes sortes de détritus qui nuiraient à mes illusions et mes espoirs. A vingt-quatre ans, j'ai arrêté de penser qu'il était bon pour moi d'être danseur professionnel suite à un accident dont je vous épargnerai les détails. J'ai donc pris ma retraite anticipée en décidant de me spécialisé dans l'art de donner des cours.

J'ai commencé par obtenir quelques classes dans des écoles pas très réputées, le salaire était minime mais l'ambiance "étude" me plaisait plus qu'autre chose. J'ai pris sur moi de suivre une formation annexe pour obtenir un diplôme certifiant de ma capacité à enseigner la danse et suis rapidement devenu un très très bon professeur. A vingt-six ans, j'avais quatorze classes différentes, de styles et de niveaux différents, par semaine. Les cours s'enchaînaient à une rapidité exceptionnelle et, rapidement, l'AID m'a obtenu un job au sein de son établissement. En parallèle, j'ai continué de travailler pour des plus petites écoles jusqu'à économiser suffisamment pour m'offrir mon premier appartement. J'ai obtenu ses clés à l'âge de vingt-neuf ans et j'y habite seul, depuis. Un loft superbe en plein centre de Paris. Le dynamisme de cette ville me berce comme le roulement d'un moteur en voiture et j'y trouve un certain réconfort. Mes parents sont souvent venus me rendre visite et m'ont toujours apporté l'aide nécessaire même si jamais je n'ai réclamé un centime d'euro. Je suis fier du chemin que j'ai parcouru puisqu'aujourd'hui, depuis trois ans, j'enseigne le jazz et suis maître de ballet au sein de l'Opéra de Paris. Deux fonctions au sein d'une des plus grandes écoles de Paris qui est devenue pour moi mon repère et mon foyer. J'y trouve tout le réconfort dont j'ai besoin et j'y coule des jours tranquilles. N'allez certainement pas croire que j'ai une vie bien rangée et monotone, je suis un homme dans la trentaine et je m'amuse comme il le faut. Certains détails de ma vie privée sont à proscrire de cette entrevue pour ne pas m'attirer d'ennui mais si je suis resté longtemps dans le droit chemin, il m'arrive, tout comme vous, d'avoir certains écarts dont je ne me plaindrai pas. J'ai une vie privée, professionnelle et sentimentale bien remplie, et je suis extrêmement fier de l'homme que je suis devenu.