Parler de mon caractère n'est pas une chose que j'aime réellement faire, en vérité, je n'aime pas beaucoup parler de moi de manière générale, mais je veux bien faire une exception pour vous. Je vais donc vous dire ce que j'ai pu entendre à mon propos. Le jugement de ceux qui me connaissent est bien plus partial que celui que je pourrais avoir, non ? Tout d'abord, sachez que je suis quelqu'un de timide et très réservé, ne vous attendez donc pas à me voir courir vers vous pour faire votre connaissance, si vous voulez me parler, il faudra que ce soit vous qui fassiez le premier pas. Il y a quelque chose qui me caractérise plus que tout le reste, c'est la sincérité que je mets dans chacun de mes pas de danse. C'est vrai, lorsque je suis sur scène, je me donne à fond, je ne triche pas et cela le public le sent bien, je pense que c'est pour cela qu'il y a une si bonne alchimie entre eux et moi. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, je suis une personne très sensible. Les gens me trouvent sauvage, ils ont raison, mais c'est simplement parce que je n'ai pas envie de les ennuyer avec mes problèmes, je préfère les résoudre moi-même. Je ne me confie pas très facilement, je suis plutôt secret, c'est donc un miracle que je vous dise tout cela. La nouvelle que j'appris à mes dix-neuf ans me donna envie de me battre, pas pour guérir, parce que c'est impossible, mais pour vivre à fond le temps qu'il me reste, même si je ne sais pas encore combien.

Concernant les choses que j'aime je pourrais vous dire que j'aime la danse, mais ça vous vous en doutiez déjà, non ? Mon fiancé, il est très présent à mes côtés et grâce à lui j'ai encore beaucoup plus la force de me battre. Le café, j'en bois des litres. Ce que je n'aime pas...humm, les files d'attente dans les grands magasins, les araignées, la foule, j'ai tendance à paniquer lorsque je suis trop entouré.

Quel a été votre sentiment et/ou réaction après avoir appris que vous montiez en grade à l'ODP ?
J'ai été heureux, parce que c'était l'accomplissement de quelque chose que je ne pensais pas possible. A la base, je n'étais pas destiné à la danse, surtout à la danse classique, je faisais un peu de Hip-Hop, des battle, pour mes loisirs et j'ai été repéré alors que je dansais, mais à cette époque je ne m'imaginais pas du tout devenir premier danseur de l'Opéra, c'est vraiment une fierté pour moi, oui c'est cela, une fierté.

Comment votre entourage a réagi à la nouvelle ?
Ils étaient très fiers de moi, mes parents surtout. J'ai un frère plus âgé et lorsque je suis allé à Paris, j'étais encore jeune et cela a été difficile pour ma famille de me laisser partir, alors cette promotion était le moyen de leur montrer qu'ils avaient effectivement bien fait de me laisser partir, que je n'étais pas doué que pour le Hip-Hop

Est-ce que votre attitude/personnalité a changé depuis cette promotion ?
Certains vous diraient oui et ils n'auraient pas tort, mais ce n'est pas cette promotion qui m'a fait changer. Certes, depuis que je suis premier danseur je travaille deux fois plus, mais si ma personnalité à changé c'est simplement à cause de ma maladie. Seulement, comme je ne l'ai pas révélé à beaucoup de monde, ils attribuent automatiquement ce changement à ma promotion. Je ne veux pas voir de pitié dans leur yeux, voilà pourquoi je n'ai rien dit. Seul Guilhem est au courant et c'est très bien comme ça. Je n'ai rien dit à ma famille, je ne veux pas les inquiéter avant l'heure, ils auront bien le temps d'avoir peur pour moi.

La carrière d'un danseur de l'ODP prend fin à 40 ans, comment voyez-vous votre vie après l'ODP ?
Sincèrement, je n'ai que vingt-cinq ans et si j'arrive jusqu'à mes quarante ans, alors ce sera très bien. Pour le moment, je ne me pose pas de question au sujet de mon avenir. Lorsque ma carrière prendra fin, je pourrais penser à cela, mais en attendant, je vis au jour le jour. Quand vous êtes comme moi, vous n'avez pas vraiment le choix, vous ne pouvez pas vraiment vous permettre de faire des plans sur la comète, je me contente de vivre à fond l'instant présent. 

Je m'appelle Mathias Ethan Vallet et je suis né à Marseille d'un père américain et d'une mère française. Pourquoi mon père est-il venu vivre en France, pourquoi a-t-il trouvé l'amour et fondé sa famille dans ce pays ne vous sera pas raconté ici tout simplement parce que c'est leur histoire, elle leur appartient, sachez juste que je n'ai jamais mis un seul orteil aux Etats-Unis, je crois que mon père ne s'est jamais vraiment bien entendu avec ses parents restés là-bas. Quoi qu'il en soit, j'ai dit que je ne vous en parlerais pas. Penchons-nous donc sur mon histoire puisque c'est cela qui semble vous intéresser. Je suis né un beau jour de mai, le vingt-et-un pour être plus précis. J'ai vingt-cinq ans et j'ai un frère qui a trois ans de plus que moi. Mes parents sont de condition modeste, mais ils s'arrangeaient toujours pour que nous ne manquions de rien.   Ma mère m'a souvent dit que lorsque j'étais bébé et que quelqu'un mettait de la musique, je bougeais toujours...et en rythme s'il vous plaît. Bien sûr, il y a beaucoup d'autres bébés qui le font, je ne suis pas un cas isolé, mais en grandissant, cet amour de la musique, de la danse, s'est renforcé.

A l'école, je travaillais bien, mais sans trop en faire non plus, non, ce que je faisais la plupart du temps, c'était danser. Mon style, c'était le hip-hop et j'étais plutôt doué. A tel point, que lors d'une des nombreuses Battle auquel je prenais part, je fus repéré par un professeur de l'école de  l'Opéra de Paris. Vous vous rendez compte...je ne pensais pas que le hip-hop pouvait mener au classique.  Quoi qu'il en soit, il alla voir mes parents pour les convaincre de me laisser regagner la capitale avec lui.  Ils furent un peu difficile à convaincre, après tout, ils savaient bien que je ne rentrerais pas très souvent à la maison, n'ayant pas les moyens de me payer des trajets "Paris-Marseille" régulièrement. A force de persuasion, mes parents donnèrent finalement leur accord et me voilà parti dans une ville que je ne connaissais pas, à côtoyer des gens que je n'avais jamais vu de ma vie. Les premiers temps furent un peu difficile, parce que même si j'étais taillé pour être danseur, en cours, ce n'était pas génial, j'arrivais à suivre bien sûr, mais il me manquait quelque chose : l'audace. Toutefois, lorsque l'on me mettait sur scène, c'était magique, comme si toute ma "réserve" s'envolait, j'étais habité par la danse.  Et c'est encore le cas aujourd'hui, lorsque je suis sur scène, plus rien ne compte que le ballet, le public et moi.

Peu de temps après mon arrivée à l'école, je fis la connaissance de celui qui allait devenir mon fiancé, Guihem  Delcourt. Nous sommes très rapidement devenus d'excellents amis, nous avons grandis ensemble, les sentiments ne sont pas apparus tout de suite, eux aussi ont grandi.  Cependant, j'avais quelques petits copains et des petites copines, mais je ne pouvais pas chasser Guilhem de mon esprit, on se retrouvait lors de soirées, échangeant des baisers, parfois même quelques caresses, mais rien de sérieux.  Nous n'étions pas un couple, si bien que je ne me gênais pas pour aller voir ailleurs. Je n'aurais peut-être pas dû. Quand j'y pense, je ne peux m'empêcher de me traiter d'abruti. Une soirée changea ma vie à tout jamais. C'était peu de temps avant que j'entre à l'Opéra. J'avais passé la nuit dans les bras d'une fille, mais le problème, c'était que j'étais beaucoup trop plein pour me rappeler qui et surtout, je ne savais plus si nous nous étions protégés. Alors, une fois que j'avais émergé, je suis allé faire un test et lors des résultats...mon monde s'écroula. J'étais séropositif. Concrètement, je n'étais pas encore malade, mais le VIH se baladait dans mon corps et pouvait se déclarer n'importe quand.

Dire que j'étais effrayé serait un doux euphémisme.  Il fallait absolument que j'arrête d'être aussi volage et puis, il y avait Guihem, je ne pouvais pas prendre le risque de foutre sa vie en l'air, alors lors de mon entrée à l'Opéra, j'avais décidé de l'éloigner de moi. Je faisais comme si nous ne nous connaissions pas. Oh bien sûr il ne comprenait pas ce changement de comportement et, un jour, il y a environ quatre ans, il me prit par surprise et m'embrassa. Je le repoussais doucement et lui expliquais pourquoi j'avais agis ainsi avec lui. Je m'attendais à ce qu'il me rejette et je l'aurais compris, mais ce ne fut pas ça qui se passa, bien au contraire, il m'assura de son aide et promis de ne jamais m'abandonner. J'étais ému, étonné...je tombais dans ses bras. Je m'étais battu seul jusque-là, mais nous serons deux maintenant. Il y a quelques mois, il m'a même demandé en mariage. Je l'aime, il est mon phare dans cet océan houleux qu'est ma vie.